Danseurs : Delphine Maurel et Fabien Faucil
Dans sa nouvelle création, le chorégraphe Alain Gonotey propose un regard humaniste et militant sur la révolte et les questions identitaires (identité gravitaire, typologie gestuelle, mise en jeu du genre dans le mouvement…)
Libérer le corps de gestes interdits, refuser une pensée dominante dans un contexte social de surveillance, contester le sacré pour créer une « utopie héroïque ».
Révolte et utopie se conjuguent dans une tentative d’invention d’un territoire où le corps s’invente dans la distorsion, refuse un apaisement du sol, transgresse la verticale et aspire à une élévation subversive.
Au centre de nombreux processus de création, la révolte s’impose comme une attitude incontournable. Corps Etrangers en fait son objet central, qu’il s’agisse des corps du danseur, du non-danseur ou des micro-sociétés qui constituent un groupe. Sujet et groupe offrent un lieu d’expression et donc d’observation de cette posture face au monde qu’est la révolte.
Corps Étrangers stimule une réflexion sur le corps comme territoire de la révolte à l’image de ce qui se joue dans nos sociétés. Trouvons dans la danse une matière qui l’exprime.
Comment renouveler un discours sur la modernité dans sa pensée du corps ?
Et comment l’inscrire dans l’universalité ?
Considérons la révolte comme “un mouvement vers”, “une résistance à”, “un trop plein de”, tout comme l’acte fondateur de l’émergence d’autres territoires.
Nous traiterons de la matière, ou comment les corps entrent dans le mouvement ? Lieu de résistance face à la mort, lieu du refus, espace où l’on met en jeu une capacité de présence à soi au-delà des angoisses fatalistes.
Nous traiterons du corps identitaire, du corps face aux révoltes de nos sociétés, nos identités, nos existences ; ces insistances et résistances que nous partageons.
Corps Etrangers, en trois phases de travail :
Le corps – matière le corps comme lieu d’inscription de la révolte
Le corps dansant les histoires des corps comme lieu de l’inscription identitaire de cette révolte ou la question des genres
Le corps social où le souffle de la révolte s’immisce
Notre attention se porte sur quelques mécanismes qui vont créer le sentiment d’oppression, de frustration, ce « trop plein de … », berceau de la révolte :
– Les surveillances accrues dans la sphère publique et privée stimulent l’auto surveillance et amènent chacun à développer une censure de son comportement. A l’intérieur d’un groupe, les individus s’auto surveillent aussi en se référant à des notions morales ou en évaluant l’aspect de l’autre au regard de la norme.
– L’acceptation de ces regards intrusifs est possible car ils résonnent comme une prise en charge du sujet. La peur de ce regard est atténuée par le modèle unique rassurant qu’il induit.
Soumis à la norme les sujets s’opposent en rivalité et constituent des corps séparés sans espace commun.
Représenté au festival Les Hivernales à Avignon en 2010
CORPS ETRANGERS
Duo dansé par Fabien Faucil et Delphine Maurel
La révolte comme acte fondateur de la démocratie des corps,
jouons à exposer une diversité qui n’annihile pas le conflit
Duo mettant en jeux un projet de corps ou comment définir une forme de corps métis/urbain. Il confronte deux formes d’altérité (femme/ homme, hip hop / contemporain, poétique/ abstrait), sans nier les conflits et les limites, il définit un projet de corps commun.
Le corps
Le corps reste le véhicule de la révolte. Corps Etrangers pourrait s’appeler « à la recherche du corps de la révolte ». Nous développons trois intentions de travail, trois regards sur le corps dansant. Celui-ci restant le miroir du corps quotidien.
Le corps sous tension
Depuis quelques années nous avons développé un travail autour du « corps urbain ». Dans nos sociétés les relations entre les sujets s’organisent de manière normée, cloisonnée. Les identités vivent séparées, elles s’opposent autant qu’elles s’enferment.
La danse se vit à l’image de cette parcellisation. Les techniques, les réseaux, les modes d’apprentissage sont classifiés et rangés autant que les sujets (homme / femme, athlète/ non athlète, spectacle/ création…). Dans le projet Corps Etrangers, il est proposé aux danseurs de se construire un autre territoire en réponse à cette pression de séparation des corps plutôt que de se définir en genre rangé, en technique séparée. L’exploration est celle d’une matière dans laquelle deux traditions de gestion du mouvement se rencontrent.
- De manière réductrice mais révélatrice, l’expression pulsionnelle du mouvement est souvent assimilée aux danses ethniques, au jazz, au Hip Hop et le caractère de fragmentation, d’explosion, de percussion et d’éclatement domine.
- La tradition du mouvement abstrait, suspendu, distancié et spatial fait référence à une élévation de la tradition académique et à une poétisation de la matière en danse contemporaine. Je distingue ici la démarche contemporaine des représentations que l’on a de celle-ci à travers quelques archétypes.
Le corps proposé est fait de distorsions, de tensions que l’on ne peut regarder uniquement en référence à une tradition de danse et à un genre. Hors référent, ce corps sous tension se pose en corps critique de la norme.
Le corps en réaction
Il s’agit d’échapper à un corps « militaire », aligné, mimétique et offrant un groupe sans singularité d’action, le choix est fait d’avoir un corps en mouvement, tentative de ne pas se laisser enfermer dans la norme. Les corps sont embarqués, en errance avec l’espoir que ce ne soit pas seulement une fuite. Ils se déplacent, se dispersent, ils ne veulent pas se soumettre.
Le corps engagé
Nous avons traité deux options qui s’alimentent l’une l’autre : la chute et son refus.
De manière répétée, les danseurs chutent tout au long de la pièce. C’est le témoignage d’une souffrance, d’une blessure, une forme de désobéissance plus qu’une forme de suicide. La chute est mise en scène comme un témoignage. C’est une alerte, une communication. Seul le corps peut être le territoire de cette expression la plus extrême.
Le refus de la chute : les danseurs sont amenés à se repousser du sol, sans aucun apaisement. Ne pas considérer la chute comme une fin mais comme la possibilité de se réinventer, c’est le refus du corps apaisé, un plaidoyer contre un corps clinique.
** Regards sociologiques sur le corps
La manière dont le corps est appréhendé dans nos sociétés est révélateur des relations de pouvoir. Le corps de la révolte est celui qui échappe à la norme. Corps Etrangers est une exploration, une réaction, une résistance, un exutoire.
La représentation se fait à travers un espace cloisonné, des déambulations, des alignements et des prises de paroles.
Le duo se vit dans un espace cloisonné où la surveillance de l’autre est constante. Il y a tentative de recréer du lien à travers les matières partagées alors que la situation de surveillance rappelle les modes de surveillance sociaux.
Les déambulations sont des rappels d’un mouvement ordonné, d’une temporalité à laquelle ils ne peuvent échapper. Les déambulations finissent en empilements s’il n’y a pas d’actes de résistance.
Les alignements sont comme une frontière à surveiller, le moment où les individus sont exposés comme des marchandises. C’est un jeu de rôle pour essayer de s’en sortir, une forme de compétitions, de rivalités (scènes de dressage). Les alignements séparent, opposent. Cette frontière peut révéler aussi des actes de courage et des rencontres salvatrices.
Chaque prise de parole reste soumise à la présence de l’autre. Le solo est un temps d’affirmation, d’exploration de la singularité de chaque individu / danseur. La chute, la fragmentation, l’envol sont des signes de posture de la révolte.